Ce que Darwin aurait conseillé à votre chef

Les ressorts ancestraux du charisme

“Commandez, obéissez ou écartez-vous du chemin”. L’injonction du Général Patton est un choix répété de nos existences, qui finit par nous définir. Quand vous écoutez un médecin, travaillez pour un patron ou refusez une critique, vous vous positionnez dans un rapport de pouvoir avec d’autres êtres humains. Ces décisions intuitives de domination-soumission peuvent paraître mystérieuses à un observateur extérieur, mais elles ne sont pas le fruit du hasard : nos ancêtres ont affiné au péril de leur vie leur capacité à jauger l’Autre dans son potentiel destructeur ou fertilisateur. A chaque rencontre avec une proie, un prédateur ou un partenaire la question renouvelée “Commandez, obéissez ou écartez-vous du chemin” a exclu impitoyablement les naïfs et leurs gènes de l’histoire. Que peut dire la théorie de l’évolution quant à la décision d’obéir ? En cette période de lutte entre deux des plus efficaces machines adaptatives terrestres (l’Homme et le Virus), un petit voyage avec Darwin et R. Dawkins livre d’intéressantes leçons de leadership. 

Toi qui parles de psychologie évolutionniste, prends garde

Les raisonnements à venir s’appuient sur les hypothèses suivantes : 

  • le cerveau est un organe comme les autres, façonné par les gènes pour favoriser leur dissémination,
  • les comportements humains sont toujours le fruit d’interactions entre des pulsions innées (celles dont on parle ici) et des apprentissages acquis. Leur part respective est difficile à démêler, car il n’existe par d’humains “non sociaux”, 
  • nos pulsions ont été affinées dans un environnement très différent du monde industriel moderne et peuvent donc être complètement inadaptées aux conditions actuelles. L’exemple le plus courant est notre appétence pour le gras et le sucre.

Ces précautions prises, voyons ce que l’observation des autres animaux peut expliquer des relations de pouvoir.

Observation 1 : tout le monde veut la part du lion

Pour l’animal moyen, il est généralement avantageux d’être perçu comme fort. Pour un prédateur, vous constituez un pari plus risqué. Lors d’une rencontre avec un congénère, votre force apparente le dissuadera sans combat de disputer vos ressources. Si vous êtes un animal social, vous bénéficierez en plus d’un accès privilégié aux possibilités de reproduction offertes par le groupe. 

Entretenir cette force est toutefois coûteux : il faut être plus massif, plus musculeux, manger plus, disposer d’organes spécialisés, sécréter du venin, etc. Une stratégie évolutive astucieuse est donc de donner l’apparence de la force sans réellement en disposer.

Chez l’être humain, la dimension intra-espèce (ou sociale) prime sur la potentielle rencontre avec un prédateur. Plus que dans toute autre espèce, nos congénères sont depuis longtemps nos principaux rivaux, alliés et sélecteurs sexuels. Les convaincre de notre force physique, intellectuelle et morale est un impératif évolutif qui a façonné beaucoup de nos comportements innés, comme notre attirance pour les marqueurs de statut ou notre peur du ridicule. Nous sommes donc probablement enclins à la fois à désirer le pouvoir et à feindre les capacités nécessaires. On peut simplifier ce premier principe comme suit :

Si ça ne nous coûtait rien, on préférerait tous être le boss. 

Evidemment, les choses ne sont pas si simples.

Observation 2 : tout le monde veut miser sur le bon cheval

Avec la même logique, on comprend que nous avons également intérêt à percer à jour les menteurs. Renoncer à combattre un rival qui prétend être fort, laisser filer un gibier qui paraît menaçant, c’est perdre les ressources qui auraient favorisé votre survie. Vous reproduire avec l’individu X plutôt que Y, c’est investir des ressources irremplaçables : le coût des gamètes, la vulnérabilité pendant l’acte sexuel et, selon les espèces, les différents efforts de la parentalité. Un animal crédule dilapide ses efforts auprès de partenaires apparemment forts mais en réalité peu adaptés ; sa descendance en souffrira, sera moins nombreuse et les gènes produisant sa faible perspicacité seront in fine éliminés. 

L’optimum comportemental (aussi appelé Stratégie Évolutive Stable) a alors peu de chances d’être binaire. “Fuis toujours”, “combats toujours”, “soumets-toi toujours” sont des approches inférieures à “fuis quand l’adversaire a des crocs saillants”, “combats quand l’autre tremble” et “soumets-toi quand le cri est plus fort que le tien”. Ces dernières stratégies incorporent en effet une information supplémentaire, corrélée à la force réelle et réduisant le risque de renoncer à tort. Nous sommes dès lors probablement équipés d’un appareil de détection perfectionné des “faux-forts” qui s’appuie sur les indices involontaires de faiblesse.

Descendants d’une longue course entre moyens de manipulation et d’évaluation, nous sommes à la fois dotés pour la vanité et pour la détection des vaniteux. 

Dès lors, y a-t-il des indices plus à même que d’autres de nous convaincre que nous pouvons nous fier à un chef ? 

Observation 3 : il y a des jeunes motards fous et des vieux motards prudents, mais pas de vieux motards fous

Puisque l’évaluation mutuelle des forces est un jeu de dupes, les animaux donnent un poids particulier aux signaux qui sont difficiles à feindre. Et s’il est une chose qui ne ment pas sur le potentiel d’un individu, c’est sa survie à un grand risque passé ou présent. Dans la logique antifragile chère à Taleb, un individu qui porte la marque de grands dangers passés et se trouve toujours devant vous pour en parler dispose très probablement de capacités exceptionnelles. L’évolution offre des exemples amusants de ce laissez-passer par le risque. 

Les mâles oiseaux de paradis disposent ainsi à l’âge adulte de magnifiques plumes caudales très longues, de couleurs vives et variées.

Comme vous pouvez vous en douter, elles ne rendent pas son vol facile et sont pour les prédateurs de l’oiseau l’équivalent d’un panneau “MANGEZ-MOI” clignotant dans la nuit. Pourquoi diantre l’évolution aurait-elle favorisé l’apparition de plumes toujours plus longues et voyantes ? A ce stade, vous pouvez deviner la réponse. Le mâle oiseau de paradis, se présentant à la femelle, peut se prévaloir d’avoir survécu malgré ce terrible handicap. Il dispose alors d’une preuve indéniable de ses capacités adaptatives. 

L’espèce humaine a peut-être un équivalent croustillant dans l’absence d’os pénien de ses mâles, caractéristique pourtant bien pratique présente chez tous ses cousins primates. En rendant l’érection dépendante de la bonne santé du mâle, l’absence d’os pénien associée à un pénis érigé constituait un laissez-passer crédible. Autrement dit, ceux qui se présentaient tout apprêtés par un os à demeure dans l’organe ont dû être écartés de la reproduction faute de pouvoir démontrer leur bonne santé. 

Il faut chercher ici l’un des ressorts intuitifs du charisme (non désolé Monsieur, pas dans l’absence d’os pénien) : dans les preuves d’une prise de risque. 

Observation 4 : l’autorité naturelle du balafré

Le manager dans une grande entreprise dispose d’un pouvoir qui n’est pas contrebalancé par son exposition à la ruine. Dans le pire des cas, il quitte l’organisation avec une belle indemnité. Il en va de même des hauts fonctionnaires qui dirigent sans s’être soumis à l’élection ou avec le parachute d’une mise en disponibilité. Les intendants manient un pouvoir dont nous percevons intuitivement la fragilité. Par les signes de leur réussite sociale, ils suscitent parfois notre envie ; mais quand les choses se gâtent, nous nous rangeons intuitivement derrière le balafré.

Le balafré est engagé au premier rang dans l’incertitude. Il mise quelque chose en même temps qu’il exerce son pouvoir. Dans l’entreprise, cette prise de risque prend par exemple la forme :

  • d’un langage clair, engageant pour le décideur, marqué par le « je » et l’utilisation de l’indicatif : « je préconise l’option A » au lieu de « ça pourrait être A, mais aussi B ou C »,
  • d’une exposition passée ou présente aux tâches difficiles et dangereuses. Dans toutes les armées modernes, les officiers se doivent ainsi d’avoir passé un temps significatif sur le terrain,
  • d’une mise personnelle égale ou supérieure à celle des subalternes, d’où notre admiration continue pour les entrepreneurs et les cadres présentéistes (quoi qu’on en dise).

Plus encore, nous observons avec la plus grande attention le comportement de nos chefs dans la crise. Vos dirigeants :

  • annoncent-ils eux-mêmes les mauvaises nouvelles ?
  • acceptent-ils leur responsabilité dans l’échec, ou la reportent-ils sur leur subalternes ?
  • sont-ils aussi braves face à leurs supérieurs que devant stagiaires et prestataires ?

Ceux qui restent quand tout le monde a fui, ceux-là commandent profondément notre obéissance, parce qu’ils signalent à notre machinerie évolutive une force supérieure à la moyenne.

Les de Gaulle continuent la lutte dans la débâcle, quand les vendeurs de subprimes partent avec leurs gains.

Si les personnels médicaux font aujourd’hui l’admiration de tous, ce n’est pas pour leurs études ou leurs titres prestigieux : c’est parce qu’ils tiennent leur rôle, au cœur de la bataille, au plus près du danger. A l’inverse, la multiplication des articles critiquant la fuite des élites parisiennes dans leurs maisons de campagne fait vibrer une corde opposée : comment osent-ils se mettre à l’abri, eux qui prétendent au pouvoir ? 

Le charisme demande ainsi l’exposition renouvelée aux risques que l’on exige des autres. Aucun chemin facile ne mène à l’autorité : notre appareil évolutif nous rend vigilants aux faux-semblants et exige des preuves de force. Il faut persister quand les autres abandonnent, tenir sa parole même (surtout) quand c’est dur. A chaque défi relevé, vous envoyez un signal puissant et primitif de votre supériorité. Mais à ce prix, qui veut encore la part du lion ? 

Article initialement publié sur LinkedIn

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